Je connais bien le sénateur Jean Arthuis. Il fut, dans sa vie professionnelle, commissaire aux comptes dans plusieurs de nos structures commerciales. Il fut par la suite un plutôt bon ministre de la consommation. Mais il s’est enfoncé, depuis une dizaine d’années, dans une attitude purement inquisitrice à l’égard de la grande distribution. Sans aucune nuance, ni finesse. C’est lui qui signa, du temps de Jacques Chirac, ce rapport parlementaire qui accusait la grande distribution d’être à l’origine des délocalisations et d’un surcroît d’importations (alors même que la France était exportatrice nette !!!). Dieu sait s’il nous a fallu ramer pour dénoncer ces contrevérités tant l’homme s’obstinait à vouloir briller en jouant de cette posture critique.
Jean Arthuis a trouvé un nouveau cheval de bataille. Il feint de découvrir les centrales d’achat établies depuis une dizaine d’années à Zurich ou à Genève. «…j’ai pointé du doigt les pratiques de cinq grandes enseignes nationales qui ont pour habitude de demander à leurs fournisseurs de verser une redevance soi-disant destinée à contribuer au développement international de leur groupe ».
L’accusation aurait été de faible portée si nous n’étions pas dans un contexte nauséabond d’affaires financières et fiscales (l’affaire UIMM, fraude fiscale au Lichtenstein). Jean Arthuis ne pouvait méconnaître ce contexte. Autant dire qu’en prenant le risque de cultiver l’amalgame, le sénateur jette sciemment l’opprobre sur notre secteur.
Je ne sais pas s’il vise une enseigne particulière. Il vaudrait mieux qu’il le dise. A contrario, son coup de sang n’est pas crédible.
Il n’est pas concevable qu’il fasse semblant de découvrir l’existence de ces centrales d’achat. Une dizaine d’entre elles (EMD, AMS, AGENOR…) exercent, depuis une vingtaine d’années en Europe, une activité d’achat, de référencement ou d’échange de savoir-faire. Elles couvrent le secteur des GMS mais aussi de la distribution spécialisée. Pratiquement toutes les grandes enseignes européennes, GSA ou GMS, intégrées, franchisées ou associatives, adhèrent à ces réseaux qui font l’objet périodiquement d’observations et de directives émanant de la Commission Européenne. Il n’y a pas en la matière de spécificité française.
Qu’en est-il pour notre enseigne ?
Longtemps, nous avons tâtonné. Nous avons adhéré quelques années au groupement EMD, aux côtés d’une trentaine d’autres enseignes. Sans réel intérêt, ni efficacité. Puis en 2004, nous avons créé, avec quatre autres enseignes de la distribution européenne, la coopérative « Coopernic ». L’objet social de cette société est complètement transparent : son activité a pour finalité d’améliorer la performance et la compétitivité des magasins de Colruyt (Belgique), Coop (Suisse), Conad (Italie), Rewe (Allemagne) et E. Leclerc. Cette performance concerne évidemment la surveillance des prix au niveau européen, mais aussi le développement en commun des gammes de produits répondant aux nouvelles demandes sociales (commerce équitable, développement durable, produits éthiques, etc.). Coopernic abrite beaucoup d’échanges bilatéraux (E. Leclerc/Coop sur le commerce équitable ; E. Leclerc/Conad sur les carburants ou la parapharmacie ; E. Leclerc/Rewe/Iki pour la promotion des marques régionales françaises dans l’Est de l’Europe). Je me suis déjà exprimé sur ce sujet sur ce blog.
Qu’en est-il des accusations du perfide sénateur ?
a) « Cinq grandes enseignes demandent une redevance » ?
- Il ne s’agit pas d’enseignes, mais de plusieurs milliers de supermarchés, supérettes, hypermarchés ou magasins spécialisés répartis dans 18 pays du marché européen. Au sein de Coopernic, on compare les hausses de prix, on lance des appels d’offres, on traque les prix les plus bas.
- Coopernic ne touche pas de redevance. Quand les adhérents de la coopérative viennent y négocier avec les grands industriels une meilleure couverture européenne des ventes, un plan promotionnel lié à un investissement TV (par exemple) ou au lancement d’une innovation dans plusieurs pays en même temps, c’est pour en faire profiter ses membres nationaux. Les conditions d’achat ou de prestations sont directement répercutées aux adhérents de chaque pays.
b) « Les fournisseurs se voient obligés de verser une somme à une société basée en Suisse ». Des sommes qui échapperaient au fisc ?
- Coopernic est basée en Belgique et non en Suisse.
- Coopernic est installée à quelques centaines de mètres des services de concurrence de la Communauté Européenne. Sa constitution est connue de tous.
- C’est une coopérative dont les statuts se réfèrent spécifiquement à la nouvelle législation européenne favorisant le regroupement de commerçants indépendants. Elle est complètement transparente (aux sens financier et juridique) à l’égard de ses membres. La totalité de ses produits éventuels (elle n’a qu’un an d’existence) est reversée directement à ses coopérateurs.
- Coopernic n’a pas vocation à faire des profits. Elle ne garde rien, elle est financée par des appels de cotisations. En aucun cas, elle ne finance le développement international des enseignes.
- Tous les fournisseurs n’ont pas de stratégie ou de conditions européennes de vente. D’autres ne souhaitent pas profiter des prestations de Coopernic. Seules quelques dizaines de grandes sociétés ont conclu des accords avec la coopérative.
- Enfin, fiscalement, tous les produits de Coopernic sont soumis à la fiscalité des pays d’origine des adhérents. Dans le cas de la France, ils sont intégrés aux déclarations fiscales de chaque centre E. Leclerc.
Voilà. Normalement le sénateur Jean Arthuis devrait être rassuré. Malheureusement, je crains que ça ne fût pas sa réelle intention.
Michel-Edouard Leclerc
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