15 avril 2009

PIB vs Empreinte Ecologique

Mathis Wackernagel est tombé dans l'écologie quand il était petit : "Mon père avait été très frappé par le rapport réalisé en 1972 par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour le club de Rome sur "les limites de la croissance". Quand j'avais à peu près 10 ans, il m'a montré les graphes de ce livre en m'expliquant ce qu'ils signifiaient. Cela a fondé mon intérêt pour la question."

Un intérêt qui ne s'est jamais démenti et a conduit Mathis Wackernagel à devenir le co-inventeur de l'empreinte écologique, une méthode de mesure de l'activité humaine qui pourrait concurrencer le produit intérieur brut (PIB). Celui-ci ne prend pas en compte la dégradation environnementale causée par l'activité économique. Le principe de l'empreinte écologique vise au contraire à calculer la surface d'écosystèmes nécessaire pour fournir les éléments requis par l'activité d'un pays ou d'une région et absorber ses pollutions.

Basé à Oakland, en Californie, Mathis Wackernagel est venu à Paris au début du mois d'avril pour rencontrer des statisticiens du ministère de l'écologie, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que ceux de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, créée début 2008 à l'initiative de Nicolas Sarkozy et présidée par Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'économie. Mission de cette dernière ? Définir de nouveaux indicateurs capables de remédier aux lacunes du système statistique mondial actuel. Son rapport est attendu pour la mi-mai.

Mathis Wackernagel est-il entendu ? "De plus en plus par les experts, estime-t-il. Mais quand l'on regarde les dirigeants du G20, ils abordent tous la récession comme le simple recul du PIB et ne pensent qu'à trouver le moyen de le faire croître encore..." Un postulat que le gamin tombé dans la marmite du rapport au club de Rome s'est juré de mettre à bas.

SCIENTIFIQUE MILITANT

Né en Suisse, à Bâle, en 1962, le jeune Mathis étudie à l'Ecole polytechnique de Zürich, d'où il s'envole en 1990 pour préparer son doctorat au Canada, à Vancouver. Il vient étudier la capacité d'un environnement à supporter l'impact de l'aménagement des territoires. Des mots compliqués, que Mathis Wackernagel, avec son professeur David Rees, cherche à simplifier. "On discutait, une fois de plus, et un jour, David a dit : "Regarde cet ordinateur, il a une faible empreinte au sol"." La remarque paraît simple mais elle sera féconde. Elle conduit les deux compères à formaliser le concept d'empreinte écologique. Après un premier article de David Rees, en 1992, l'idée devient une méthode de calcul validée par de nombreux articles scientifiques.

Mathis Wackernagel a adopté la stratégie d'un scientifique militant. "Le rapport de 1972 sur les limites de la croissance a été tué par le débat académique, faute de soutien populaire", explique-t-il. Pour s'assurer que le milieu des statisticiens, par définition conservateur - "Ils doivent maintenir des séries de chiffres dans la durée" -, n'enterrera pas l'empreinte écologique, il fait alliance avec des associations puissantes, trouve son principal appui au Fonds mondial pour la nature (WWF) et fonde, en 2003, le Global Footprint Network (Réseau de l'empreinte écologique).

Un scientifique pressé ? "C'est une erreur de croire que l'on peut attendre pour adapter nos sociétés à la crise écologique", dit-il. "Nous sommes en train d'atteindre le pic du pétrole, mais aussi celui de la nourriture, de la pêche, de la biodiversité." Mesurer les dégâts sur l'environnement lui paraît le meilleur moyen de changer la mentalité des politiques.

L'empreinte écologique présente des défauts, qu'il connaît bien, "mais cet indicateur, c'est terrible, est le seul qui permette d'appréhender la dégradation écologique". Dans plusieurs pays (Suisse, Japon, Emirats arabes unis, Belgique), l'empreinte écologique commence en tout cas à être prise au sérieux par les services statistiques.

Hervé Kempf, Le Monde

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