Joy, 49 ans, a choisi elle de raconter sa vie sur une photo d'un feu rouge barré d'une gigantesque "stop": "Je me prostitue depuis que j'ai 13 ans ... Ma mère et mon père ont vendu mon corps à cinq ans pour dix livres à mon gardien. J'avais 16 ans quand j'ai eu mon premier bébé. Il avait 14 semaines quand il est mort..."
Ce sont les prostituées les plus marginalisées de Londres: sans domicile fixe, battues, violées, elles sont très souvent sous crack. Elles meurent jeunes, parfois très jeunes, et dans l'indifférence générale.
L'association U-Turn ("demi-tour") en accueille 250 par an dans un centre situé à Bethnal Green (est) et est prête à tout "pour les aider, ou tout simplement pour les garder en vie", explique avec réalisme son président, Jan Woroniecki.
Il y a deux ans, Jan se rendait à une exposition de PhotoVoice, une autre organisation à but non lucratif qui aide les marginalisés en leur mettant dans les mains un appareil-photo: enfants des rues en Afghanistan malades mentaux aux Etats-Unis, réfugiés à Londres...
"J'ai vu comment ces victimes se servaient de la photographie comme d'un moyen de faire face à leur vie. Ca s'est avéré très efficace": convaincu, le président décide de lancer en commun avec PhotoVoice le projet "Change the Picture" ("Changer l'image").
On installe du matériel dans le centre d'accueil de U-Turn et, pendant huit mois, des femmes y apprennent les rudiments de la photo avant de s'emparer de l'appareil pour dresser le portrait de leur vie.
"L'objectif est d'utiliser la photographie comme un podium où elles peuvent parler des questions qui leur tiennent à coeur", souligne Tiffany Fairey, co-fondatrice de PhotoVoice. "Mais également de faire prendre conscience de la situation de ces femmes, largement inconnues".
La réponse a été "extrêmement positive", se souvient-elle: les jeunes femmes ont saisi cette "occasion d'apprendre quelque chose dont elles puissent être fières".
Trente deux d'entre elles vont suivre les "ateliers". Parmi les centaines de photos prises, quelques dizaines sont exposées dans un restaurant de la rive sud de la Tamise. On y voit des clichés qui en disent long sur leur désespoir, comme celui d'une pierre tombale, mais aussi des photos de fleurs, d'une tablette de chocolat, de papillons: de ces petits riens qui font parfois aimer la vie.
"Ca m'a fait voir les choses différemment. Personne ne peut m'empêcher de voir de belles choses maintenant": Sue, 26 ans, s'était jointe au programme parce qu'elle "voulait chourer l'appareil et le revendre pour du crack".
"Mais après quelques semaines, j'ai commencé à aimer les ateliers et je ne l'ai finalement pas volé", raconte-t-elle à l'AFP. "Je voulais que les gens me voient comme un être humain, pas seulement comme une droguée, une prostituée".
"Ca m'a donné la possibilité de me concentrer sur autre chose que sur nos vies déprimantes", témoigne Amy, 38 ans, traitée pour troubles mentaux à la suite d'abus sexuels dans sa jeunesse. "Au début, je l'ai fait parce que je n'avais rien d'autre à faire... Mais je me suis mise à aimer ça, ça me changeait les idées. J'ai aimé faire quelque chose de positif avec ma vie".
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