Les Verts aux médias : « Il y en a ras-le-bol »
Invités occasionnellement dans les grands médias, les porte-parole des Verts ne cessent d’être interrogés... sur leurs rapports avec les autres formations politiques ou les autres candidats, la faiblesse de leurs scores dans les sondages et Nicolas Hulot. Jusqu’à ce que Dominique Voynet dise « stop »
« Vous êtes une grosse association » (Jean-Michel Apathie)
Alors que la pré campagne officielle vient à peine de démarrer, Noël Mamère est l’invité de Jean-Michel Aphatie dans la matinale de RTL le 5 décembre 2006. L’occasion de connaître le point de vue des Verts sur les questions importantes de l’actualité, l’occasion de parler d’environnement avec un parti concerné, l’occasion de poser des questions à des personnalités politiques que l’on entend peu, l’occasion de redresser la barre et de ne plus attribuer 80% du temps de parole (comme c’était le cas jusqu’à la fin novembre dans les radios) aux deux seuls partis qui comptent : l’UMP et le PS. Mais, comme les « petits » partis n’abordent pas nécessairement les sujets qui passionnent le microcosme des journalistes politiques, les questions vont porter sur le microcosme de... la vie politique. Echantillon des questions posées par Jean-Michel Apathie. Un déluge de fausse impertinence et de vrai mépris :
- Nicolas Hulot intervenait sur RTL, hier matin. Il annonçait que 700.000 Français avaient signé son Pacte écologique. C’est un véritable succès à l’heure où tout ne va pas très bien pour les Verts. Vous êtes jaloux de ce succès de Nicolas Hulot, Noël Mamère ?
- Mais alors, Dominique Voynet est scotché à 2%. Il y en a même qui la mesurent à 1%. C’est-à-dire que ça ne marche pas pour vous. Pourquoi ?
- Mais Nicolas Hulot ?
- S’il franchissait le pas, Nicolas Hulot, s’il était candidat, ce serait une catastrophe pour vous Noël Mamère ?
- Mais alors, pourquoi - encore une fois - vous n’avez pas cette reconnaissance de la part du public ?
- Vous êtes lâchés par tout le monde. Daniel Cohn-Bendit disait, il y a quelques jours : "Le parti Verts, c’est la fin d’un cycle. C’est fini".
- Ce n’est pas pour être désagréable avec vous, Noël Mamère, mais quelques chiffres encore : 700.000 Français qui soutiennent le Pacte écologique, c’est ce que dit Nicolas Hulot. Le Parti Verts, c’est 8.800 adhérents. Et pour le récent congrès (vous l’évoquiez), qui s’est tenu ce week-end à Bordeaux, des Verts, seulement 4.800 ont voté. En fait, vous êtes une grosse association. Vous n’êtes pas un parti politique ?
- Dominique Voynet ira jusqu’au bout ?
- Un mot sur la polémique sur Ségolène Royal... Son voyage ?
Jean-Michel Aphatie ne semble pas disposé à parler des projets des Verts, ni même d’environnement avec une « association » de 8 800 adhérents. Il préfère parler de Nicolas Hulot, des sondages, de Nicolas Hulot, du voyage de Royal en Chine et de Nicolas Hulot. Pour le fond, voyons avec Le Monde.
« Les Verts servent donc encore à quelque chose ? » (Le Monde)
Rarement conviée dans le quotidien vespéral, Dominique Voynet est interrogée le 18 janvier 2007. Bilan : la candidate écologiste n’a pas pu exposer la moindre bribe de son programme. Voici les 11 questions qui lui ont été posées :
- Votre campagne "patine". Comment l’expliquez-vous ?
- Dans les sondages, vous ne parvenez pas à dépasser les 2 %. Le sens de votre candidature n’est pas perçu ?
- Ce serait donc une question de "timing" ?
- Pourtant Nicolas Hulot parvient, lui, à mobiliser un potentiel électoral.
- Mais il mord considérablement sur votre terrain électoral !
- Les Verts servent donc encore à quelque chose ?
- Quand même, deux de vos proches, Yves Cochet et Jean-Luc Bennahmias, en appellent à votre retrait au profit de Nicolas Hulot.
- Les négociations avec le PS sur les législatives sont au point mort.
- Et si, lundi, Nicolas Hulot se lance malgré tout ?
- Les hausses d’impôts pour les contribuables gagnant plus de 4 000 euros net par mois : vous êtes d’accord ?
- Mais quand M. Cochet et M. Bennahmias font valoir que Hulot c’est 10 % dans les sondages et Voynet 2 %, que répondez-vous ?
La seule question incitant Voynet à évoquer les idées des Verts (« Les hausses d’impôts pour les contribuables gagnant plus de 4 000 euros net par mois : vous êtes d’accord ? ») n’est posée que par rapport au Parti Socialiste, et pourrait se traduire ainsi : « êtes-vous d’accord avec la position du PS sur la fiscalité ? » Aucune question sur les problèmes généraux, aucune question d’écologie.
« On vous laisse le micro ouvert ? » (Nicolas Demorand)
Quelques jours plus tard (23.01.2007), sur France Inter, Nicolas Demorand amorce son entretien avec Dominique Voynet par une question sur Nicolas Hulot. Et naturellement, sa deuxième question porte sur... Nicolas Hulot. Las, Dominique Voynet termine sa réponse par : « je veux aller à l’essentiel et parler maintenant de mon projet. » Allons-y.
- Nicolas Demorand : Projet important, on va y venir, mais la manière d’y arriver aussi est essentielle Dominique Voynet ?
- Dominique Voynet : Mais la façon d’y arriver c’est de refuser de répondre à toutes les questions sur la petite vie politicienne...
Mais refuser de répondre à de telles questions, c’est commettre un crime de lèse-majesté ! C’est refuser de répondre à un journaliste qui pose les bonnes questions... puisqu’il est journaliste. La réplique de Nicolas Demorand est sans équivoque : c’est vous ou moi.
- Nicolas Demorand : Donc vous préférez qu’on sorte du studio...
- Dominique Voynet : Non, non...
- Nicolas Demorand (menaçant) :... vous voulez qu’on sorte du studio et qu’on vous laisse le micro ouvert ?
- Dominique Voynet : Je fais une campagne de terrain et sur le terrain les gens ne me posent pas réellement des questions sur ce qui se passe dans le microcosme politique, ils me posent des questions effectivement sur comment on fait pour réduire notre dépendance au pétrole, [...] comment on fait pour construire des maisons à 100 000 euros...
- Nicolas Demorand (la coupant) : Et comment on fait pour imposer ces questions dans le débat politique ?
- Dominique Voynet (tentant de répondre) : Et bien, on parle comme...
- Nicolas Demorand (ne la laissant pas répondre, il parle par-dessus elle) : Est-ce que vous pensez...
- Dominique Voynet : ... comme je viens de le faire....
- Nicolas Demorand (insistant) : Est-ce que vous pensez... (bis)
- Dominique Voynet : ... on refuse de se laisser entraîner...
- Nicolas Demorand (sourd) : Est-ce que vous pensez... (ter)
- Dominique Voynet : ... sur des terrains qui ne sont pas les bons terrains.
- Nicolas Demorand (pas fatigué) : Est-ce que vous pensez... (quater)
- Dominique Voynet (énervée) : Il y en a ras-le-bol des préoccupations du microcosme, moi c’est aux préoccupations des Français que je veux répondre.
Nicolas Demorand, porte-voix du « microcosme » n’a qu’une question en tête ; il n’en démordra pas : « Est-ce que vous pensez que vous avez la force politique pour imposer vos idées ? C’est une question simple, c’est une question noble, c’est une question pour savoir comment vous comptez y arriver. » En dépit de la « noblesse » de la question, Dominique Voynet ne veut pas céder : « Nicolas Demorand, j’ai en tout cas la force nécessaire pour vous dire ce matin, allons pour une fois sur les questions de fond, je vous jure, on n’est pas en sécurité alimentaire à travers la planète [...]... »
S’engouffrant dans la brèche qu’elle est parvenue à ouvrir, la candidate écologiste essaye de développer des idées et exposer les problèmes de l’alimentation. Nicolas Demorand ne lui ayant pas posé de question la coupe très vite : « Je vais aller dans votre sens, Dominique Voynet, je vais aller dans votre sens, les... » Voynet l’interrompt : « ... Mais vous ne voulez pas m’écouter jusqu’au bout, là ? » Et à la limite du mépris, l’animateur enchaîne : « ... les glaciers, je vais vous le dire très franchement, les glaciers fondent, le climat se dérègle, et les intentions de vote... » Passons sur la nouvelle altercation. « Et les intentions de vote pour les verts sont au plus bas. Expliquez-nous ce mystère de la vie politique française. » Voynet refuse clairement de se plier à la question torturante de Demorand : « Ce mystère de la vie politique française, c’est que depuis trois mois c’est la question qu’on me pose alors que moi je vous dis : je n’y réponds plus à cette question. Ça va vous agacer, mais je n’y réponds plus, parce que si... » Inadmissible, ne pas vouloir répondre à une question d’un journaliste ! Demorand la coupe de nouveau : « Mais on aimerait comprendre quand même ! » Le « on » impersonnel dissimule ici ... Nicolas Demorand lui-même et traduit surtout l’envie (débordante) d’un journaliste de comprendre ce qu’il a envie de comprendre. Réponse de Dominique Voynet : « Alors, vous ferez votre travail d’analyste politique à d’autres moments, moi à partir de maintenant je ne réponds plus à cette question, je réponds effectivement sur le fond [...]. Alors je vous dis ce que je veux : je veux effectivement qu’on arrête de faire des conneries. Le mot est fort. [...] »
Après 3 minutes d’interview (sur 9 en tout et pour tout), Dominique Voynet peut enfin parler de ce qui importe ou devrait importer d’abord : son programme. Ceci n’empêchera pas Demorand de se moquer d’elle avant de poser d’autres questions : « Ai-je le droit de vous poser la question suivante ? »
Que Demorand veuille savoir comment Les Verts vont faire pour diffuser leurs idées, pourquoi pas ? Mais le problème posé est plus sérieux : alors que Les Verts (comme d’autres partis considérés « petits ») disposent de peu d’espace dans les médias, les rares occasions où ils peuvent s’exprimer sont presque entièrement occupées par des questions annexes (alliances stratégiques, rapport avec les autres partis, scores dans les sondages...). Il y a un temps incompressible identique à tous les partis (« grands » ou « petits ») attribué aux questions politiciennes, ce qui explique naturellement que les grands partis ont plus souvent l’occasion d’aborder le fond.
Source: Mathias Reymond