29 juillet 2008

Thierry Meyssan : « l'internet est déjà un champ de bataille au sens militaire du terme»

Publié par Jérôme Bouteiller le Mardi 29 Juillet

Journaliste indépendant et auteur controversé, Thierry Meyssan s'appuie de longues années sur le Net pour mener ses enquêtes et diffuser ses idées. Entretien exclusif avec l'auteur de l'Effroyable Imposture qui revient sur son engagement et son utilisation d'un outil internet, rattrapé par la censure...

JB - Thierry Meyssan bonjour ! Médiatisé pour avoir remis en cause la version du gouvernement des Etats-Unis sur le déroulement des attentats du 11 septembre 2001, vous êtes également secrétaire général du Parti Radical de Gauche et président de l'Association le Réseau Voltaire qui milite, depuis 1994, pour la liberté d'expression. En quelques mots, comment définiriez vous votre action ? Quelle est votre ambition première ?



TM - Mon ambition, c'est à la fois comprendre et influer. Je suis un analyste politique et un militant. Contrairement à la vision actuelle de la profession, je ne conçois le journalisme que de cette façon. Je ne me retrouve ni dans la presse d'opinion qui commente l'actualité sans remettre en question la vision qu'on nous en donne, ni dans la presse dominante qui, par son refus de prendre position, défend le désordre établi.

J'ai été responsable du Parti radical de gauche de 1994 à 2008. Mais j'ai désormais quitté la France et ne peux plus assumer cette fonction. Je reste très attaché à cette philosophie qui place de hautes exigences et accepte des compromis difficiles à la fois par réalisme et par discipline démocratique.

J'ai effectivement été trés médiatisé à la suite de mes travaux sur les attentats du 11 septembre et l'évolution politique des États-Unis. Si j'ai fait l'objet d'une campagne de dénigrement d'une rare violence dans les pays anglo-saxons et en France, j'ai bénéficié d'une forte reconnaissance notamment dans les pays méditerranéens et en Amérique latine. Je me suis trouvé soudain propulsé sur la scène internationale et j'ai depuis la chance d'être consulté par de nombreux leaders politiques dans le monde qui attachent de l'importance à mes analyses. Je suis toujours surpris de voir le décalage entre mon activité et le portrait peu flatteur que la presse française dresse de moi. Ne dit-on pas que nul n'est prophète en son pays ?

JB - Depuis trois ans, votre site VoltaireNet.org s'est mué en «agence de presse non alignée». Cette nouvelle formule a t'elle séduit les internautes ? Quelle est votre audience ? Comment financez vous votre activité ?

TM - Depuis mon travail lors de la guerre du Kosovo, je suis préoccupé par la domination de quelques agences de presse (AP, Reuters, AFP) qui imposent leur vision des événements à l'ensemble du monde. Cela m'a conduit à renouer avec le combat du Mouvement des non-alignés contre la dominance informationnelle qui avait secoué jadis l'UNESCO. Persuadés que les journalistes locaux savent mieux ce qui se passe chez eux que les agences de New York, Londres et Paris, nous avons constitué un réseau d'agences de presse, de journaux et de revues et nous avons commencé à syndiquer nos articles. Cette formule est un succès éclatant en Amérique latine, où notre réseau est devenu la première source d'information indépendante. Nous balbutions dans le monde arabe et cela reste à construire dans le reste du monde.

Nous n'envisageons pas l'internet comme un média à part. Nous essayons de nous appuyer aussi sur de nombreuses publications papier. Quant à moi, je publie des livres, j'écris des articles pour de grandes revues politiques en Russie, dans le monde arabe et en Amérique latine. Je participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision dans le monde et j'en présenterai bientôt moi-même. L'internet est cependant le média de loin le plus fluide et le moins onéreux.

Au début, notre activité était financée par mes droits d'auteur car mes ouvrages ont connu un succès mondial. Mais, après que mon éditeur ait organisé sa faillite en me volant les droits qu'il avait encaissé en mon nom, nous nous sommes trouvés dans de grandes difficultés. Actuellement, tous les frais techniques et certains frais de traduction sont financés par les dons des lecteurs. Même si ceux-ci sont généreux, notre marge de manœuvre est restreinte.

JB - Les pannes observées ces dernières semaines sur VoltaireNet.org étaient elles la conséquence de ce succès ou des réponses électroniques de la part d'opposants à l'action du Réseau Voltaire ? Selon vous, qui se cache derrière ces attaques ?


TM - Nous avons d'abord été victimes de notre succès. Le serveur que nous utilisions n'a pas supporté l'augmentation du trafic sur nos sites. En effet, outre Voltairenet.org, nous éditions des sites pour nos partenaires ainsi que des bases de données documentaires. Avec ces perturbations, notre site principal, Voltairenet.org, a perdu de l'audience. Il tourne néanmoins à 1,3 million de visiteurs distincts par mois.

A cela se sont ajoutées diverses attaques que nous avons eu du mal à interpréter, jusqu'à conclure au sabotage interne. Il se trouve que nous venions de lancer un appel de dons à nos lecteurs. Plus de 1500 nous ont répondu, cela nous a permis de prendre le taureau par les cornes : nous avons changé d'hébergeur et d'équipe technique. Nous disposons désormais d'une machine dédiée ultra-moderne, d'une bande passante très large et d'une équipe technique capable d'intervenir 24 h sur 24. Nous basculerons les DNS dans les prochains jours et reprendrons progressivement le rythme de nos publications.

Nous avons par le passé fait l'objet de nombreuses attaques informatiques. Non seulement les traditionnelles attaques par requêtes multiples pour saturer le site, mais des choses plus sophistiquées, par exemple la pénétration dans les bases de données pour en changer le contenu. Sans parler des attaques physiques avec la destruction d'une de nos machines hébergée dans un centre de télécom pourtant protégé.

JB - Contrairement aux pratiques en vogue dans la blogosphère, votre site ne propose aucune interactivité avec ses lecteurs. Redoutez vous des excès de leur part ? Pourquoi ne pas miser sur une forme de «collaboration » avec les internautes ?

TM - C'est un grand regret pour nous tous. Nos tentatives de créer des forums nous ont vaccinés. Nous avons immédiatement été envahis par des agents provocateurs de toutes sortes qui faisaient déraper les discussions ou postaient des messages racistes ou extrémistes pour nous discréditer.

JB - Au delà des problèmes techniques et financiers, estimez vous qu'internet facilite la liberté d'expression d'associations telles que la vôtre ou craignez vous également le développement de la censure sur ce nouveau média, y compris en France ?

TM - Bien sûr qu'internet facilite l'exercice de la liberté d'expression. De ce point de vue, la généralisation d'internet est une révolution politique qui bouscule les institutions. Mais cette liberté est relative. Nous devons d'abord affronter nos propos limites intellectuelles. Dans les sociétés modernes, nous avons perdus la capacité de penser par nous-mêmes et avons adopté le comportement grégaire du consommateur de mass-média. Lorsque nous nous affranchissons de nos préjugés, nous devons faire face à toutes sortes de pressions. Et si la profession journalistique ne brille pas par son courage, il n'y a pas de raison que le reste de la société soit meilleur.

Historiquement, chaque média nouveau est un bol d'air frais. Mais avec le temps, il fait l'objet d'encadrements législatifs et réglementaires qui l'étouffe. Il en sera probablement de même pour l'internet lorsque l'on aura trouvé des moyens techniques pour le contrôler.

Au delà de la censure, qui est un phénomène national, l'internet est déjà un champ de bataille au sens militaire du terme. Les États-Unis ont détruit des milliers de sites pendant la guerre du Kosovo. Israël a fait de même pendant la guerre de 2006 contre le Liban —et à cette occasion une unité spécialisée de Tsahal a réussi à bloquer temporairement notre site pourtant hébergé à ce moment là sur le territoire français—. En vue du prochain conflit, l'US Air Force vient d'investir des sommes considérables pour acquérir des matériels lui permettant de détruire des dizaines de milliers de sites en quelques jours. Personne n'est à l'abri et ne comptez pas sur le gouvernement français pour vous défendre si votre site est attaqué par ces États.

JB - Thierry Meyssan, je vous remercie.

25 juillet 2008

Des prostituées britanniques saisissent l'appareil-photo pour revaloriser leur image

LONDRES (AFP) - Pour montrer la véritable image des prostituées les plus marginalisées de Londres, ou tout simplement les aider à survivre, une association londonienne a mis dans leurs mains un appareil-photo.



"Noël approche, déjà...": la photo de Holy n'a pas de titre mais le portrait de ce petit gateau posé sur une assiette en carton à côté de couverts pour une seule personne pourrait bien porter la mention "solitude". "Je ne peux pas m'empêcher de pleurer", écrit-elle dans un commentaire accompagnant le cliché.

Joy, 49 ans, a choisi elle de raconter sa vie sur une photo d'un feu rouge barré d'une gigantesque "stop": "Je me prostitue depuis que j'ai 13 ans ... Ma mère et mon père ont vendu mon corps à cinq ans pour dix livres à mon gardien. J'avais 16 ans quand j'ai eu mon premier bébé. Il avait 14 semaines quand il est mort..."

Ce sont les prostituées les plus marginalisées de Londres: sans domicile fixe, battues, violées, elles sont très souvent sous crack. Elles meurent jeunes, parfois très jeunes, et dans l'indifférence générale.

L'association U-Turn ("demi-tour") en accueille 250 par an dans un centre situé à Bethnal Green (est) et est prête à tout "pour les aider, ou tout simplement pour les garder en vie", explique avec réalisme son président, Jan Woroniecki.

Il y a deux ans, Jan se rendait à une exposition de PhotoVoice, une autre organisation à but non lucratif qui aide les marginalisés en leur mettant dans les mains un appareil-photo: enfants des rues en Afghanistan malades mentaux aux Etats-Unis, réfugiés à Londres...

"J'ai vu comment ces victimes se servaient de la photographie comme d'un moyen de faire face à leur vie. Ca s'est avéré très efficace": convaincu, le président décide de lancer en commun avec PhotoVoice le projet "Change the Picture" ("Changer l'image").

On installe du matériel dans le centre d'accueil de U-Turn et, pendant huit mois, des femmes y apprennent les rudiments de la photo avant de s'emparer de l'appareil pour dresser le portrait de leur vie.

"L'objectif est d'utiliser la photographie comme un podium où elles peuvent parler des questions qui leur tiennent à coeur", souligne Tiffany Fairey, co-fondatrice de PhotoVoice. "Mais également de faire prendre conscience de la situation de ces femmes, largement inconnues".

La réponse a été "extrêmement positive", se souvient-elle: les jeunes femmes ont saisi cette "occasion d'apprendre quelque chose dont elles puissent être fières".

Trente deux d'entre elles vont suivre les "ateliers". Parmi les centaines de photos prises, quelques dizaines sont exposées dans un restaurant de la rive sud de la Tamise. On y voit des clichés qui en disent long sur leur désespoir, comme celui d'une pierre tombale, mais aussi des photos de fleurs, d'une tablette de chocolat, de papillons: de ces petits riens qui font parfois aimer la vie.

"Ca m'a fait voir les choses différemment. Personne ne peut m'empêcher de voir de belles choses maintenant": Sue, 26 ans, s'était jointe au programme parce qu'elle "voulait chourer l'appareil et le revendre pour du crack".

"Mais après quelques semaines, j'ai commencé à aimer les ateliers et je ne l'ai finalement pas volé", raconte-t-elle à l'AFP. "Je voulais que les gens me voient comme un être humain, pas seulement comme une droguée, une prostituée".

"Ca m'a donné la possibilité de me concentrer sur autre chose que sur nos vies déprimantes", témoigne Amy, 38 ans, traitée pour troubles mentaux à la suite d'abus sexuels dans sa jeunesse. "Au début, je l'ai fait parce que je n'avais rien d'autre à faire... Mais je me suis mise à aimer ça, ça me changeait les idées. J'ai aimé faire quelque chose de positif avec ma vie".