02 septembre 2005

"L'Entreprise reste un modèle d'autocratie"


Bernard CHAMBON, ancien DRH d’un grand groupe français, publie un pamphlet sur les PDG



« L’entreprise reste un modèle d’autocratie »

« Comment, lorsqu’on est nommé PDG, êtr e respecté, craint et maintenir ses employés dans une servitude volontaire ? En étant compétent et rationnel ? Non, il est plus efficace d’employer les procédés les moins avouables, les plus inattendus voire les plus absurdes en apparence. »

Ancien cadre d’un grand groupe français, Bernard Chambon a successivement côtoyé de près une bonne demi- douzaine de grands patrons. Aux autres, il donne ironiquement quelques conseils dans un petit ouvrage incisif, Tu tueras de temps à autre - Les dix commandements du PDG ( Max Milo).

Qu’entendez- vous par le titre de votre livre, « Tu tueras de temps à autre » ?

Le livre est construit autour des dix commandements bibliques, détournés pour la circonstance. « Tu tueras de temps à autre » , c’est le commandement le plus machiavélique pour qui veut asseoir son pouvoir au sein d’une entreprise. Il faut bien avoir en tête qu’en France, les PDG sont un peu vus comme des demi- dieux, que tout le monde respecte et craint.

Naturellement ?

Oui et non. Tout cela s’entretient.

Comment accentuer ce respect ?

Justement en « tuant » de temps à autre, par les mises au placard ou en « flinguant » quelqu’un dont la tête dépasse un peu trop. La meilleure méthode pour y parvenir est d’établir une liste rationnelle des gens que l’on souhaite mettre à l’écart – tant pour l’intérêt de l’entreprise que pour asseoir son propre pouvoir – mais de « flinguer » au hasard, un peu n’importe quand n’importe comment. Résultat : tout le monde est déstabilisé, ce qui est l’objet de la manœuvre.

Pourquoi ce ton ironique, voire sarcastique envers les dirigeants de grandes sociétés ?

Parce que je crois qu’il faut résister à cet état de choses. On est dans une espèce de rouleau compresseur qui nous broie chaque jour un peu plus. L’idée est de prendre un peu de recul et de désacraliser les PDG. Cette causticité, c’est un appel à une forme de résistance. Ce qui m’a le plus impressionné au fil des années, ce n’est pas tant la manière dont un président exerce son pouvoir que la façon dont tout le monde lui dit amen.

Vous avez vu défiler sept présidents. Tous n’avaient pas les mêmes travers…

On peut regrouper les PDG en trois types. Celui qui, moyennement intéressé par la maison, laisse filer parce qu’il pense déjà à autre chose. Celui qui, hyper autoritaire, arrive en disant qu’il va vous apprendre à travailler et qui amène l’entreprise quasiment à deux doigts de la faillite à cause de son comportement autarcique. Et enfin – celui qui m’intéresse beaucoup plus – le patron, un peu cynique peut- être, qui s’entoure d’une bande de gens très proches de lui, qui considère les personnels de l’entreprise un peu comme des colonisés, mais qui préserve à tout prix sa liberté. Y compris vis- à- vis d’éventuels revirements de stratégie, en changeant de cap à 180 ° si c’est ce qu’il faut faire.

Le bon patron, c’est celui- là ?

Oui, à condition qu’il porte un regard un peu moins condescendant sur les gens qui travaillent dans l’entreprise, et que le discours humaniste généralement débité, du genre « c’est vous qui faites l’entreprise, vous qui faites marcher la maison » soit suivi d’effets…

Ce que vous dites des PDG touche tous les pouvoirs en général…

C’est vrai, mais je pense profondément que l’entreprise est le dernier lieu où le pouvoir s’exerce de manière aussi spectaculaire et aussi forte. Le pouvoir politique est très contesté. Le pouvoir religieux aussi. C’est certainement dans l’entreprise qu’il est le plus préservé et où l’on est le plus loin de la démocratie. L’entreprise reste un modèle d’autocratie où règne l’arbitraire. Or, même en entreprise, on doit pouvoir évoluer vers plus de démocratie, sans que ce soit incompatible avec la performance.

Pourquoi ne pas citer dans votre livre l’entreprise concernée ?

Je ne voulais absolument pas viser nommément telle ou telle personne. Et, de fait, c’est à peu près partout pareil. Ce n’était donc pas la peine de limiter le constat à une entreprise donnée.


Recueilli par Luc Brunet pour 20 minutes

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